Été(s) // Journal d’écriture

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D’abord appelé Le Chaudron, ce journal d’écriture est un mini-blog et une expérience d’abord menée sur les réseaux sociaux ; en 2019 j’ai commencé à partager avec des ami-es mon processus de travail pendant l’écriture de mon premier roman. La première partie du blog a été postée entre le 12 et le 31 août 2019, puis irrégulièrement à partir de septembre 2019 et en ce moment même durant une résidence à La Générale Nord-Est à Paris, en juillet 2022. Et quelques fragments en parallèle et en anglais ici à partir du 4 juillet 2022.

Le roman s’appelle Été(s) comme un été et comme ce qui n’est plus. C’est un roman d’apprentissage dans une ville de banlieue près de Paris, une histoire faite de tendresse et de violences diverses. C’est l’histoire d’un groupe d’ami-es qui se forme puis se décompose au début des années 2010.

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Written in French, what used to be called Le chaudron / The cauldron, is a micro-blog and a social network experiment of sharing with friends the process of writing my first novel, documenting it day by day between the 12th and the 31st of August 2019, once in a while since September 2019 and right this moment, in July 2022 while on a writing residency at La Générale Nord-Est in Paris. Some fragments are translated here from July 4th 2022.

The novel is called Été(s), as in “summers” and “what has been and is no more”. It’s a coming of age story in a suburban town near Paris, a story made of tenderness and various violences. It’s the story of a group of friends disintegrating at the beginning of the 2010s.

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//////////////////////////// Résidence à La Générale //// jour 53 //// 23.08.2022 /////////////////////////////

12h05 je relis l’ouverture de La Bâtarde de Violette Leduc, complètement ennivrée par la cavalcade dans sa langue. “Mon cas n’est pas unique : j’ai peur de mourir et je suis navrée d’être au monde. Je n’ai pas travaillé, je n’ai pas étudié. J’ai pleuré, j’ai crié. Les larmes et les cris m’ont pris beaucoup de temps. La torture du temps perdu dès que j’y réfléchis. Je ne peux pas réfléchir longtemps mais je peux me complaire sur une feuille de salade fânée où je n’ai que des regrets à remâcher. Le passé ne nourrit pas. Je m’en irai comme je suis arrivée. Intacte, chargée de mes défauts qui m’ont torturée. J’aurais voulu naître statue, je suis une limace sous mon fumier. Les vertus, les qualités, le courage, la méditation, la culture. Bras croisés, je me suis brisée à ces mots-là.”

je l’aime.

18h51 je n’ai fait que découper des passages longs, très longs. je sautai d’un fragment à l’autre de manière hératique, sans cohérence dans la réécriture. juste des ciseaux sauvages. trop de douleur partout, trop de douleur. quel est le secret de la douleur dans un roman ? soit en dire très peu, juste les faits, soit faire en sorte que la douleur torde la langue dans laquelle on la dit. peut-être.

//////////////////////////// Résidence à La Générale //// jour 52 //// 22.08.2022 /////////////////////////////

14h je viens de lire d’une traite la première et la deuxième partie du roman.
première partie : toujours bon.
deuxième partie : encore du travail, j’ai trop coupé, il faut réinjecter des choses. on ne saisit pas assez l’enjeu de cet été pour le groupe, il faut qu’il soit plus lumineux et plus sensuel, moins hésitant.
plus qu’une semaine, je ne sais pas si je retravaille la deuxième partie ou si je me jette dans la troisième tout de suite.

22h11 j’ai fait de minimes changements dans la deuxième partie, j’ai bien sûr saupoudré de doutes l’après-midi. je me lance dans la troisième partie, je veux qu’elle ait une forme au moins quand je partirai de la résidence.

Conseils d’anti-écriture 4 et 5. (Conseil numéro 3 ajouté au 28.7.2022)

4 # j’avais oublié de le réécrire ici, déjà posté sur les réseaux. le conseil d’anti-écriture numéro quatre est : soyez pessimiste. si aujourd’hui est un mauvais jour, demain en sera également un. pas de frayeur, vous ne finirez pas ce honteux morceau d’écriture demain si vous ne l’avez pas fini aujourd’hui. le temps est une boucle infinie. le non-faire sera jeudi comme il était mercredi. faites confiance aux prédictions calamiteuses, elles ont toujours raison en quelque chose.

5 # rechignez à la tâche.
levez le pied. regardez l’écran ou bien la page et soupirez. trouvez l’air doux, allez faire un tour et ne revenez pas. faites mentalement la liste de tout ce que vous devriez changer dans ce texte pour qu’il touche du bout des ongles l’ambition que vous vous êtes fixé. soyez plus fort.e que cette suite d’exigences sans fondement. laissez-la seule, ignorez-la. soyez le parangon de la paresse. l’écriture n’a pas besoin de votre sueur. dépensez-la autrement, voire même, pas. refusez de devenir un.e tâcheron.ne du verbe. faites la moue. laissez couler.

//////////////////////////// Résidence à La Générale //// jour 46 //// 16.08.2022 /////////////////////////////

17h50 il pleut à torrents, j’attends de quitter la résidence.
il me reste deux semaines, c’est tout. j’ai fait un calcul, si je veux ce premier jet je dois réécrire au moins trois fragments par jour jusqu’au 31 — leur longueur varie. ce n’est pas impossible.
je suis arrivée à la moitié de la deuxième partie du roman, je suis maintenant dans une sorte d’hypnose. je fais les modifications dans le texte comme si elles ne traversaient pas tout à fait la pensée. très souvent, je commence par choisir une nouvelle phrase d’accroche, qui se trouve régulièrement vers le milieu du fragment original. ensuite je coupe, je coupe, je modifie. je ne pense pas. c’est autre chose. quand j’en ai fini avec un, je dois me secouer, faire un tour puis replonger dans le suivant.
demain je dois raccourcir et réécrire un fragment qui doit faire huit pages et qui était déjà complètement structuré mais dans une idée très différente du roman. si j’y arrive ce sera une bonne journée.

un ami m’a dit récemment, dans un esprit sans doute un brin élitiste, il y a les œuvres artistiques et les œuvres culturelles. l’art est toujours rejeté par la culture car il fait exception. la culture est l’ordre, la règle. l’œuvre artistique donc s’est perdue et a trouvé quelque chose de nouveau, l’œuvre culturelle prolonge quelque chose qui frémit déjà à la surface d’une culture.

pendant que j’écris, j’ai noté que ce genre de réflexions ne peut pas descendre très profond en moi parce que tout mon cerveau est pris par le roman. comme un nouveau repas qu’on me proposerait en sortant de table.

mais des fragments, des miettes se dissolvent tout de même là-dedans. ce n’est donc peut-être pas une coïncidence que je sente le magma de la troisième partie du roman — l’Été de l’enfer, où les personnages se blessent et s’éloignent — changer légèrement de texture sans que je puisse dire exactement pourquoi. aller un peu plus dans la direction d’un chaos, d’un grand crépitement. d’une forme que je ne connais pas encore.

la lecture publique le 26 août approche, approche. que vais-je lire ?

//////////////////////////// Résidence à La Générale //// jour 40 //// 10.08.2022 /////////////////////////////

20h21 hier et avant-hier et avantavant-hier : jours horribiles. aujourd’hui : jour heureux.

la preuve que le jour se lève aussi sur l’écriture.

comment résumer. déjà, fatigue cérébrale. c’est tout de même un marathon et j’ai eu quelques jours difficiles – et je soupçonne pré-menstruels. pas envie de m’y mettre, rien qui n’aie de sens, j’ouvrais le fichier, je ne faisais rien, je scrollais sur mon portable (et oui quelle surprise). je suis tout de même allée chercher des livres, j’ai beaucoup lu et feuilleté (Le cauchemar pavillonnaire, J.-L. Debry, Cet amour-là, Y. Andréa, Yann Andréa Steiner, Duras…)

mais dans ces jours de crise j’ai pu mettre à l’épreuve le réflexe qui fût l’un des plus durs à acquérir : tuer le juge. massacrer le juge dans la tête, le juge de la productivité. corrigé dix lignes en cinq heures ? excellent. tapé une phrase qui n’est pas très bonne en deux ? quel talent. le plus important est de garder le lien, la machine en route, même si elle puffe-puffe.

et la récompense est arrivée aujourd’hui, j’ai terminé un premier – je ne sais pas comment appeler ça – mastering de l’Été de l’innocence (chapitre un). pour que ce soit la même voix qu’on retrouve de manière à peu près égale dans tout le chapitre (syntaxe, vocabulaire, degré de licence poétique etc).

et je crois que ça fonctionne. et je suis d’excellente humeur à présent. et je me sens capable de réfléchir à la lecture organisée le 26 août à la Générale.

j’ai fini ça en écoutant l’album It should be us d’Andy Stott, je recommande beaucoup.

having a great time for once


//////////////////////////// Résidence à La Générale //// jour 35 //// 05.08.2022 /////////////////////////////

15h34 ma résidence d’écriture à La Générale a été prolongée d’un mois !
je respire un peu.
il est difficile de forcer le temps.

ces derniers jours j’ai enfin été prête à revenir sur le premier chapitre du roman et à couper à grands gestes. Je l’ai écrit il y a déjà trois ans et le style est très très écrit, des périodes longues, beaucoup d’explications… il flattait l’ego. il a fallu que je recolle aux murs du bureau un nouvel ordre des épisodes pour me rendre compte que cette écriture ne peut pas passer.

le premier chapitre du roman est celui où les personnages se rencontrent et commencent à former des liens. je cherche à éviter une longue exposition, je cherchais dans ces pages qui s’attardent sur la banlieue parisienne désertée au mois de juillet quels événements minimes, presque invisibles, permettaient de donner un cadre au récit. j’ai pu en trouver quelques-uns : l’ennui de la narratrice secoué par la jongle puis par des rencontres, le retour des vacances, l’amorce de la jalousie d’un des personnages qui déclenchera la vengeance du troisième chapitre.

je commence à trouver une langue pour le roman sur laquelle je pourrai petit à petit compter.

*L’amant de Marguerite Duras
je ne l’avais encore jamais lu et c’est parfait que je le lise maintenant, il m’a beaucoup aidé. Je cherchais des livres qui avancent par fragment et la manière de Duras est magnifique. J’ai regardé de près ces coupures.

p.70 « Nous l’avons aimée tous les trois au-delà de l’amour. À cause de cela même qu’elle n’aurait pas pu, qu’elle ne pouvait pas se taire, cacher, mentir, si différents que nous ayons été tous les trois, nous l’avons aimée de la même façon.

Ça a été long. Ça a duré sept ans. (…) Et puis enfin l’espoir a été renoncé. Il a été abandonné. »

la coupure entre les deux paragraphes pourrait ne pas exister. il y a un léger glissement de l’amour porté à la mère à l’espoir mais il s’agit quasiment du même sentiment. la rupture crée artificiellement comme une pause de la pensée, interrompue dans un flux continu.

p.78 « Je vois la guerre comme lui (le frère aîné) était, partout se répandre, partout pénétrer, voler, emprisonner, partout être là, à tout mélangée, mêlée, présente dans le corps, dans la pensée, dans la veille, dans le sommeil, tout le temps, en proie à la passion saoulante d’occuper le territoire adorable du corps de l’enfant, du corps des moins forts, des peuples vaincus, cela parce que le mal est là, aux portes, contre la peau.

Nous retournons à la garçonnière. Nous sommes des amants. Nous ne pouvons pas nous arrêter d’aimer. »

contamination du sujet d’un paragraphe à l’autre. le premier paragraphe, sur la guerre, la décrit comme une sensualité violente, inacceptable : « occuper le territoire adorable du corps de l’enfant », « le mal est là, aux portes, contre la peau.» puis revient l’image de la chambre et des amants. c’est comme si, à la lecture, on comprenait a posteriori pourquoi la guerre est traitée de manière presque érotique ; c’est que l’image des amants et les sensations qui y sont attachées flottent dans tout le texte et contamine même la guerre. et en retour il semble aussi que l’histoire des deux amants devient une guerre proche de l’indicible, par sa transgression.

note pour moi-même : ne pas se laisser contaminer par la langue de Duras, qui est très facile à pasticher.

//////////////////////////// Résidence à La Générale //// jour 28 //// 28.07.2022 /////////////////////////////

20h27 dix jours ? depuis le dernier post ? trahison.
en réalité il s’est passé ce qu’il se passe à chaque fois. après une période d’écriture régulière et mesurée, de stratégies toujours repensées, de plans… vient : la fuite.
j’ai fui le texte dans d’autres romans, d’autres livres, d’autres lieux même ! je me suis absentée de la résidence trois jours le temps d’une petite vacance.
la fuite arrive toujours au moment où le travail le plus dur commence. le travail de fourmi.

(D’où le conseil d’anti-écriture suivant :
3# fuyez
ce tas de mots, ces pages, prenez physiquement de la distance vis-à-vis d’elles. rendez-vous incapable d’y ajouter quoique ce soit. laissez-les là, abandonnées, jusqu’à ce que la sensation brûlante de devoir marteler des mots sur un clavier, d’ajouter le moindre iota au concert disharmonieux du monde disparaisse tout à fait de vos doigts. fuyez afin de trouver quelque chose de mieux à faire que d’écrire cette chose douloureusement importante que vous voulez écrire. fuyez jusqu’à ce qu’elle devienne quelque chose autre que des mots.)

mais pendant cette fuite se passe un autre phénomène, aussi important que la fuite qui permet le répit et de ne pas faire face immédiatement au long marathon de la réécriture : le décantage.

DÉCANTAGE, subst. masc.
Action de décanter.
A.− CÉRAM. Action de séparer, dans une terre à céramique délayée, le dépôt sableux de l’eau contenant l’argile ou le kaolin, qu’on recueille ensuite. La boue qui demeure après le décantage (Barrès, Colline insp.,1913, p. 204).
B.− Au fig. Action de clarifier quelque chose, d’éliminer certains éléments.
source : https://cnrtl.fr/definition/d%C3%A9cantage

le décantage, répété, est très important. c’est quitter le texte et le laisser tourner dans le crâne, dans une sorte de demie-pénombre où il n’est pas vraiment question de mots et de phrases mais de tout ce qui est informe, dans et autour du texte. j’y devine un peu, dans cette demie-pénombre : les raisons qui poussent à écrire cette histoire et pas une autre, les peurs et les attentes, la progression de l’histoire, les traits particuliers des personnages qui se solidifient ou au contraire s’évaporent pour suggérer qu’il faut y repenser… cette fois-ci, ce décantage avait à voir, je pense, plus avec le projet du texte qu’avec ses détails. pendant ces quelques jours je l’ai vu s’éloigner de moi puis revenir, un peu différent mais plus assuré. j’ai eu plusieurs fois l’occasion d’en parler avec des gens qui ne me connaissaient pas et j’ai entendu l’histoire changer, les accents changer.
je reviens aussi avec des notes d’une soirée passée en vacances qui rafraîchira les souvenirs d’autres soirées si peu différentes :

  • S’allonger dans le jardin pour voir les étoiles
  • Ce moment où deux personnes parlent un peu fort dans l’encadrement d’une porte
  • Quand tout le monde danse en cercle en face à face
  • Quand deux personnes s’éloignent en permanence du gorupe et qu’on sent la tension entre elles (…)

il n’y a pas de temps perdu.

PS : j’ai aussi eu la chance, le 20, de lire des extraits du texte et de ce journal d’écriture pour la radio π-node, domiciliée à La Générale, lors d’un marathon de douze heures de radio en live intitulé Mot, de l’écriture et de la radio. une lecture suivie d’un bel échange avec Emmanuel Moreira, co-fondateur de La Vie Manifeste (cherchez le créneau de 16h30) c’est ici : https://p-node.org/actions/motecritureradio

//////////////////////////// Résidence à La Générale //// jour 18 //// 18.07.2022 /////////////////////////////
23h43 le bloquage.

le travail n’est jamais linéaire et pendant quelques jours j’ai été un peu bloquée dans des réflexions de structure, à nouveau. écriture fragmentaire ou continue ? la question a tourné et tourné. ça paraît absurde, cette question, si tard déjà dans l’écriture. les trentes pages séminales du roman, celles où je me suis donné le droit de raconter cette histoire, étaient une suite de fragments. puis j’ai écrit des passages de plus en plus longs et je me disais que j’écrirai simplement des transitions.

il y a trois jours, je restai devant l’ordinateur à fixer certains épisodes longs de presque dix pages puis je regardai ceux de quelques lignes, une seule parfois et je me disais : comment faire ?

j’ai appris au fil du temps que le plus important dans ces moments-là, c’est de trouver un moyen de continuer à manipuler la matière, pour donner quelque chose au cerveau, pendant qu’il réfléchit à la question.

je me suis donc mise à essayer de trouver l’ordre émotionnel des épisodes de la deuxième partie. c’est une activité un peu automatique. sur le logiciel, chaque épisode est écrit sur une carte, les titres sont listés à gauche, le texte s’affiche à droite comme dans un traitement de texte classique. je bouge les cartes dans la liste, j’en mets certaines de côté et au fur et à mesure qu’un ordre apparaît, je clique sur chacune des cartes les unes à la suite des autres pour sentir, en accéléré, l’arc émotionnel que l’enchaînement des épisodes produit.

pendant que je testais avec ces micro-émotions la deuxième partie, le cerveau a répondu à la question précédente. je vais rester avec le fragment mais j’équilibrerai sans doute leur longueur, pour que le contraste ne risque pas de faire dérailler le rythme de la lecture.

voici mon deuxième conseil d’anti-écriture :

cassez-vous la tête

si malgré mon excellent premier conseil d’anti-écriture vous avez commencez à écrire, le meilleur moyen d’arrêter avant que les choses empirent, c’est de vous casser la tête.

choisissez un aspect de ce que vous venez d’écrire et commencez à vous poser des questions comme si tout le reste de ce que vous vouliez écrire en dépendait d’une manière irréversible : “est-ce que j’écris des chapitres longs ou des chapitres courts ? est-ce que j’écris à la première ou à la troisième personne ? est-ce que j’utilise le présent ou le passé simple ?”

mettez la tête dans les mains, fixez le problème avec des yeux secs, tendez tous les muscles du cou, arrondissez le bas du dos de manière à ce qu’il soit douloureux en fin de journée et restez comme ça sans bouger aussi longtemps que vous pouvez. surtout ne faites rien d’autre (ne griffonez pas sur un papier, ne cherchez pas à vous distraire en sautant un chapitre…).

c’est un peu physique mais ça vaut le coup pour empêcher la catastrophe que serait encore un paragraphe, voire une page, voire, catastrophe, tout un livre.

//////////////////////////// Résidence à La Générale //// jour 14 //// 14.07.2022 /////////////////////////////

14h36 j’ai passé une bonne partie de la journée d’hier à ordonner au mur tout ce que j’ai du roman. ça fait du bien de se rendre compte du travail dans l’espace. à partir de maintenant je parlerai du roman en mètres. là j’en ai donc quatre mètres et quelques non édités.
il y a bien sûr la tentation de me relâcher un peu après cette première étape. c’est plus facile de se distraire en contemplant un mur que le regard peut balayer qu’un écran qu’on fixe.
depuis hier en regardant le nom écrit en grandes lettres de chaque épisode, je cherche le moteur. pour l’instant, même si j’ai bien une trame temporelle, les événements principaux, toute une myriade d’épisodes et même une sorte de justification idéologique de pourquoi me fader à écrire ce roman en plus de ma propre vanité à le faire ; il me manque le moteur, ce qui me dira sans faille ce qu’on garde et ce qu’on jette en fonction de ce qui le fait progresser.
j’ai parcouru plusieurs livres ces derniers jours qui m’ont laissée sur ma faim même si je les ai appréciés et le moteur était principalement le style. un style oral, enlevé, souvent poétique, souvent percutant. mais qui ne parvenaient pas à faire tenir ensemble tous les épisodes qui constituaient le livre. mais ils transmettaient quelque chose d’une atmosphère, d’un lieu et ça m’a beaucoup intéressée.

donc, depuis ce matin 9h je suis dans le bureau et je fixe ce mur. j’ai abandonné l’idée que j’avais eu auparavant de deux voix différentes à deux âges différents pour la narratrice, ça sonnait trop faux, et je viens de décider que je vais tenter de faire de la voix du personnage principal qui se remémore les événements décrits dans le livre le moteur du roman. peut-être de manière à souligner qu’il s’agit d’une version des faits, qui sera contestée dans la deuxième ou troisième partie du livre – à voir. j’ai déjà fait quelques essais et pour l’instant ça me donne une direction de découpage assez clair ; je continue.

étalage du matériau

j’ai fait la connaissance de deux araignées dans le bureau, l’une dort dans un coin, je l’appelle LJ (longues jambes as in Daddy-long-legs) et l’autre s’affaire d’un bout à l’autre du bureau, je l’ai prénommée Pénélope.

//////////////////////////// Résidence à La Générale //// jour 12 //// 12.07.2022 /////////////////////////////

19h16 j’ai enfin tout imprimé.
tout ce que j’ai. c’est le premier corps, celui qui ressemble à rien.
j’ai découpé les passages pour pouvoir les réordonner, demain je les collerai aux murs pour mieux les voir.
au tout début de l’écriture du roman, j’avais fait des plans, j’avais tout structuré. c’est un peu comme de poser les cordes du ring. je sais que maintenant, avec tout ce que j’ai déjà écrit en ayant en tête cet ordre religieux, je vais devoir tout reconsidérer pour trouver ce que l’histoire cherche à dire qui ne sera sans doute pas ce que j’avais prévu.

//////////////////////////// Résidence à La Générale //// jour 8 //// 08.07.2022 /////////////////////////////

* 11h35 hier avant de me mettre au travail j’ai parcouru L’écriture comme un couteau d’Annie Ernaux, un entretien avec l’écrivain F.-Y. Jeannet (Folio). je me suis arrêtée sur plusieurs phrases :

sur la vérité :
« Pour moi, la vérité est simplement le nom donné à ce qu’on cherche et qui se dérobe sans cesse. » p 30

j’aime l’idée de penser la vérité comme un négatif et un mouvement. c’est un mot qui sonne tellement fort, comme une cloche dont les échos assourdissent. je préfère aussi le traiter comme quelque chose de furtif et vivant, qui est là, qui attend. et parfois on s’en approche et il se laisse effleurer et parfois il reste tapis dans un coin, on ne sait où. peut-être que la vérité est un esprit qui hante toute écriture.

sur le « je » et la voix :
« Pour revenir précisément au “je” : avant tout, c’est une voix, alors que le “il” et le “elle” sont, créent, des personnages. La voix peut avoir toutes sortes de tonalités, violente, hurlante, ironique, histrion, tentatrice (textes érotiques), etc. Elle peut s’imposer, devenir spectacle, ou s’effacer devant les faits qu’elle raconte, jouer sur plusieurs registres ou rester dans la monodie. » p.31

je pense à une difficulté à laquelle je fais face en ce moment ; j’ai d’abord écrit les premières pages du roman à la première personne. d’autres personnages sont ensuite arrivés et le passage de l’un aux autres est un casse-tête.

sur ses choix stylistiques et son origine sociale :
« La seule écriture que je sentais “juste” était celle d’une distance objectivante, sans affects exprimés, sans aucune complicité avec le lecteur cultivé (complicité qui n’est pas tout à fait absente de mes premiers textes). C’est ce que j’ai appelé dans La Place “l’écriture plate, celle-là même que j’utilisais en écrivant autrefois à mes parents pour leur dire les nouvelles essentielles”. Ces lettres auxquelles je fais allusion étaient toujours concises, à la limite du dépouillement, sans effets de style, sans humour, toutes choses qui auraient été perçues par eux comme des “manières”, des “embarras”.» p.34

je me demande beaucoup quel est le style qui ne trahit pas. qui ne cherche pas à plaire. c’est très dur. même en ne plaisant qu’à soi on plaît encore à tout un tas de maîtres et de maîtresses.

aujourd’hui je veux finir de tout retaper.

15h29 c’est vraiment agréable que ce soit la saison des abricots en même temps que cette résidence.

18h47 j’ai enfin terminé de taper tout ce que j’avais écrit à la main. parfois j’étais surprise, je me disais ça c’est pas mal. la plupart du temps je me disais, ici vit le monstre de Frankenstein, il y a absolument tout, dans tous les sens et ça va être une montagne de travail de trouver dans ce tout le coeur du labyrinthe et de s’y tenir et d’en ressortir.

mes émotions passagères pendant que je recopiais m’ont inspirée une série à l’intérieur de ce journal que j’appellerai : conseils d’anti-écriture. quoi faire et sentir pour ne pas écrire.

premier conseil d’anti-écriture – celui-là c’est du lourd :

tout ce que tu écris, c’est toi.

c’est indubitablement, entièrement, essentiellement, toi.
si le texte est écrasant d’ennui, de suffisance, d’effets sans feux, de clichés partout, d’immaturité ridicule : c’est que tu es ennuyeuse, gavée de toi-même, artificielle, sans imagination, immature.

en te relisant, n’oublie pas de te le dire, de répéter une fois que tu as identifié les défauts du texte, de remplacer “ce texte est …” par “je suis…” : je suis insuffisante, mal tournée, je suis une histoire fade qui n’intéressera personne et fera pouffer le comité des lecteur*ices de (insérer ici la maison d’édition que tu admires le mieux) et vraiment, Flaubert qui êtes aux cieux, Baldwin, Leduc, ayez honte pour moi.

voilà, avec ce premier conseil n’importe qui est vraiment sûre de ne jamais écrire. moi-même pendant longtemps j’ai suivi ce conseil et il marche terriblement.

j’ai sinon lu des conseils d’écriture d’auteur*ices sans vergogne -pardon c’est en anglais -, comme Rebecca Solnit et Zadie Smith et le petit volume Hemingway On Writing.

//////////////////////////// Résidence à La Générale //// jour 6 //// 06.07.2022 /////////////////////////////

23h58 certaines journées commencent avec déjà beaucoup de fatigue dans les pattes. je suis arrivée à la résidence avec le cerveau azimuté par des candidatures finies la veille — je suis en train de chercher du travail pour la rentrée et je ne choisis pas les dates butoirs.

* j’ai commencé par finir de lire l’été des charognes mentionné plus bas et vraiment c’est une plume qui m’a touchée et fait sourire. la deuxième partie du roman est très étrange à cause d’un changement de ton complet qui laisse un peu désarçonnée et je l’ai beaucoup moins aimée que le début. mais j’ai envie de lire autre chose de l’auteur donc c’est réussi.

je regardais les nouvelles d’autres ami-es qui écrivent et j’apprenai qu’un dramaturge et ami-e – Rogelio Braga – avait gagné dans un théâtre à Londres l’ouverture d’un espace pour les artistes et problématiques philippines, ce qui est géant.

et immédiatement la teigne du présent s’est infiltrée en moi. pendant que des artistes comme iel font avancer de belles causes, que fais-je moi dans ma petite cave avec des lambeaux de la fin de mon adolescence ?

la question n’a pas fini de se poser.

pour me remettre en jambe j’ai fait un détour aux champs. pendant que je lisais, la première phrase d’une pièce que je pensais commencer à écrire bientôt a résonné dans ma tête. je l’ai tapée et ainsi, au milieu de la réécriture du roman, j’ai commencé une nouvelle pièce, qui parlera, simplement, de suicide. rien de tel pour redémarrer la machine.

par ce détour, avec un sujet où mes émotions sont très neuves et agitées, j’ai trouvé un accès à des émotions enfouies et plus anciennes, qui me serviront demain quand je reviendrai à ma table.

//////////////////////////// Résidence à La Générale //// jour 4 //// 04.07.2022 /////////////////////////////

19h27 toujours en train de taper les cahiers rédigés à la main. ce matin j’ai tenté la dictée automatisée qui est assez impressionnante de précision tout de même ; il y a quelque chose de drôle à voir une phrase bouger et s’ajuster au fur et à mesure qu’on la prononce. parfois il y a des pépites mais je n’en ai retenu aucune.

en tapant ces fragments écrits il y a deux ans et qui se nourrissent d’événements qui ont eu lieu il y a plus de dix ans, je sens un premier vertige : comment je vais retrouver le même intérêt pour cette histoire et ses personnages ? est-ce que ces jeunes peuvent vraiment encore me toucher ?

bon, il faut espérer.

vers 18h j’en avais marre, j’ai commencé à lire un des nombreux bouquins que j’ai apportés avec moi dans cette tanière, pour me rassurer et me tenir compagnie.

* (je mettrai une étoile devant les lectures) l’été des charognes de Simon Johannin chez Point (j’avais pensé : je vais prendre tous les livres avec le mot “été” dans le titre pour faire une sorte d’analyse de marché – mais certains en les ouvrant je me disais déjà qu’on n’allait pas s’entendre. j’ai finalement acheté celui-ci et j’en ai emprunté d’autres très différents.)

ça se passe à la campagne et c’est un gamin qui raconte un très bel été assez rabelaisien où il pleut des coups, des tripes, du vin, où la mort arrive de manière aussi naturelle que le jour et la nuit se succèdent. c’est très enlevé et drôle, on entend vraiment la voix d’un petit gars qui n’a peur de presque rien et qui vit un peu comme une bête sauvage, à la fois très libre et sans aucun ménagement.

un joli passage sur sa mère :

 « Ma mère elle a pas beaucoup de mots qui lui sortent de la bouche, elle nous fait plutôt des regards. Elle parle avec son visage et moi et mon frère on comprend tout.
Elle a des yeux fatigués comme des amandes sèches, pour dire des choses elle regarde et nous autour on sait qu’il faut pas l’emmerder ou glisser du couloir vers la chambre.
Ses bras il y a de la lassitude dedans mais ils sont jolis quand même, ils pèsent un peu gris. Parfois elle dit oui ou elle dit non, elle a toujours ce qu’elle veut parce que c’est le plus juste, se tromper elle sait pas faire.
Même mon père il le sait tout ça, il sait bien qu’on est tous les trois et que de l’autre côté il y a elle, que c’est la seule qui sait traverser.
Alors quand elle fatigue du bruit qu’on fait et de comment on secoue les jours et la vie dans la maison comme un prunier, elle va plus loin sur son bord et nous on la regarde qui s’éloigne et on est comme des cons.
» p.43

et cette expression « son regard transperçait les murs pour aller se ficher droit dans le passé. » p.66

je l’ai lu jusqu’à la moitié d’une traite et je me suis demandé comment – comme lui – j’allais arriver à parler d’un lieu sans qu’on se perde ? son ressors, sans avoir d’histoire principale, c’est d’introduire un nouvel élément – un oncle qui sort de prison, un objet perdu qu’on retrouve…

je m’interroge.

//////////////////////////// Résidence à La Générale //// jour 1 //// 01.07.2022 /////////////////////////////

14h La résidence à La Générale commence aujourd’hui. Je n’ai rien pu préparer en avance. Je n’arrive pas à retrouver l’un des deux cahiers dans lesquels j’ai écrit toute la deuxième partie du roman. J’ai très peur de ne pas aimer ce que je vais relire. J’ai des dates butoir pour un tout autre genre de shit aujourd’hui et demain.

Le plus dur ce n’est pas d’écrire, le plus dur c’est la vie autour, ne pas se faire avoir par le temps.

18h52 Je rentre, j’ai tapé une quinzaine de page du cahier écrit en 2020 (j’en suis à la page 29 sur 73) et réfléchi à ce dont j’ai besoin pour terminer un premier jet.
J’ai lu des pages que j’avais oubliées qui m’ont touchée. D’autres qui m’ont ennuyée. J’ai plus de matériau que ce que je croyais.

/////////////////////////////////// journal discontinu //// 17.04.2022 ////////////////////////////////////

Deux ans depuis la dernière note dans ce journal. Entre ces deux dates, j’ai vécu à Hong-Kong où j’ai tenu un autre journal The Devil’s Pod – avec quelques difficultés – et mon réemménagement à Paris, après de très longues années.
Je me suis promis, et j’ai promis aux réseaux sociaux que je terminerai un premier jet du roman avant la fin de 2022 et quelques jours plus tard, une bonne nouvelle est arrivée : j’ai été acceptée en résidence d’écriture à La Générale à Paris.
J’en profite pour mettre en ligne une présentation un peu mise à jour du roman, vous pouvez jeter un coup d’oeil >> ici <<.
Je note que pour préparer cette résidence, début juillet, je devrai faire plusieurs choses : déjà, taper ou dicter les deux cahiers de la deuxième partie du roman, qui dorment encore quelque part chez moi. Et ce sera difficile parce que je les ai écrits il y a longtemps et qu’il faudra m’y reconnaître malgré ça.
Ensuite, reprendre quelques notes sur les romans que j’ai lus récemment et qui pourraient me servir quand je serai à la Générale (il faut déjà que je me souvienne de ces lectures. Il y a eu Orlando de Woolf, Edinburgh d’Alexander Chee, Hong-Kong Noir de Chan Ho-Kei, La Mer noire dans les grands lacs d’Annie Lulu… j’ai très peu lu de romans en réalité).
Et enfin après avoir relu les deux première parties, il faudra une idée de la troisième assez précise, assez réaliste.
J’ai hâte.

/////////////////////////////////// journal discontinu //// 23.11.2020 ////////////////////////////////////

Deuxième confinement. À Berlin cette fois-ci. J’ai trouvé une table de cuisine dans la rue, bureau parfait.

Je n’ai toujours pas tapé toute la deuxième partie, qui dort dans mon cahier depuis le printemps. Peur de me relire, ennui de devoir le faire. Il faudra bien que je m’y mette. J’ai écrit d’autres choses entretemps, au moins je sauve la face.

En attendant :

Notes préliminaires au bonheur

Il me manque la troisième partie du roman. Dans celui-ci je veux traduire le plus grand bonheur possible.
Le paradis perdu.
Il apparaîtra peut-être comme un retour en arrière à partir de la fin de l’été de l’enfer.

Pour ça déjà, j’ai besoin de me souvenir du bonheur, en détails. Alors que c’est sans doute ce qui a le moins de détails dans tous mes souvenirs. Funny how the brain works.

Je voudrais que ce chapitre soit comme si à la fin de la deuxième partie on s’endormait en larmes, exténué.e mais de cette fatigue qui est la purge du corps dans le malheur. Pas la fatigue qui tue, qui empoisonne juste assez pour que les spasmes donnent l’impression que le temps ne fait que se répéter mais la fatigue qui force à se coucher, à cesser de lutter, pour se relever ensuite. Que dans la troisième partie on se réveille in a daze et qu’il y ait comme un halo autour de tous les moments de bonheur qui sont ensuite décrits.

Je me demande sur combien de temps cette troisième partie s’étale. Ça devait être sur un été comme les deux autres mais finalement j’ai l’impression que c’est un ensemble de fragments. Chaque fragment comme une pierre brillante.

J’essaie de me souvenir de passages à relire.
Quand le narrateur voit passer le groupe de jeunes filles sur la plage de Balbec dans À l’ombre des jeunes filles en fleur.
Dans Le Hussard sur le Toit, quand Pauline se réveille et qu’elle est guérie du choléra.
Dans Le Capitaine Fracasse, quand la troupe trouve un trésor en creusant un trou pour enterrer le vieux chat.
Dans La Maison aux esprits quand on retrouve les deux petits enfants qu’on croyait égarés qui jouent nus sous la table.
La Chine en dix mots : Yu enfant qui fait la sieste sur la dalle qui sert à préparer les cadavres.
On Earth We Are Briefly Gorgeous, quand Little Dog porte une robe et danse devant Trevor.
La Bâtarde, quand elle dépense tout l’argent du loyer dans de beaux vêtements.
The God of Small Things, quand Ammu et Velutha se retrouvent la nuit, et dans The Ministry of Utmost Happiness, quand une communauté s’organise dans le cimetière autour de la bicoque d’Anjum.

J’ai l’impression que je ne pourrai pas écrire cette partie à la main, je devrai la taper directement.

Je ne suis toujours pas partie à Hong Kong, évidemment. Janvier it is.

/////////////////////////////////// journal discontinu //// 3.7.2020 ////////////////////////////////////

18h44 heure britannique.
avril, mai, juin, juillet. fin du confinement plus ou moins. fini d’écrire un cahier. 75 pages pour ne pas perdre la boule. environ 27 225 mots, comme l’été dernier. combien dans tout ça à garder ? on verra. tout à taper à l’ordinateur, déjà. je ne suis pas encore sûre mais je vais peut-être inverser la troisième (Été de l’enfer) et la deuxième partie (Été du paradis). le roman se terminera peut-être sur une troisième partie beaucoup plus courte : d’abord comment le groupe des personnages se forme (Été de l’innocence), ensuite comment il se défait et comme un retour en arrière qui troue le coeur, un moment très précis du bonheur partagé absolument. j’ai lu L’Enfer de Dante pendant le confinement, tout le monde me dit que le Purgatoire et le Paradis sont très ennuyeux.
dramaturgiquement, La Comédie et La Recherche sont le même livre. Marcel devient écrivain. Dante devient poète.

je pars en septembre à Hong Kong pour un autre projet de livre et de théâtre. je veux essayer d’avoir un premier jet complet. c’est presque impossible mais je rêve d’aller de Hong Kong au Viêtnam à la fin de l’année si la situation s’améliore, de rencontrer Anna Moï chez elle à Saïgon et si elle le veut bien, de lui faire lire quelques pages du roman.

/////////////////////////////////// journal discontinu //// 8.4.2020 ////////////////////////////////////

chaque jour, deux pages. en me levant ou avant d’aller dormir.

cahier_2020

notes sur 2666 de Roberto Bolaño: partie des crimes insupportable mais la force du livre c’est que quelle que soit la manière dont les personnages se comportent, même s’ils se forcent à être humains, ils sont toujours interrompus par l’inhumain. c’est le seul schéma stable, l’humain interrompu constamment par l’inhumain, donc en réalité le produisant. Bolaño est très fort pour montrer clairement que toute la société est prise dans un engrenage de violences. impérialisme industriel qui crée la pauvreté, culture du viol qui déshumanise les femmes, police incompétente, élites corrompues, prisons sans droit. chaque personnage qu’on suit sert à lever le voile sur un aspect de cet engrenage.

le première partie montre le temps dont dispose l’élite, qui se rend d’un lieu à l’autre, agonise sur des amourettes… les victimes des féminicides n’ont aucun temps. deux phrases sur leur condition puis la torture, le viol, la mort. temps de l’Europe (les quatre universitaires de la première partie) contre temps de l’Amérique du Sud (partie des crimes) ?

/////////////////////////////////// journal discontinu //// 7.4.2020 ////////////////////////////////////

j’essaie décrire très régulièrement puisque malheureusement le confinement me permet d’être très peu distraite. j’écris tous les jours 1000 mots environ. c’est peu mais j’ai décidé d’écrire à la main de nouveau. mes yeux sont moins fatigués, après avoir fini d’écrire je me sens bien et calme. j’ai voulu écrire la deuxième partie du roman – L’été du paradis – et j’ai renoncé, mon humeur est trop loin de celle dont j’ai besoin pour retrouver le fil de cette deuxième partie. alors, erreur ou pas, je me suis mise à la troisième partie, L’été de l’enfer, qui est plus dure et parfois satirique.
je continue de suivre le même objectif : écrire le plus possible, sans faire attention à l’ordre des épisodes, que je réarrangerai quand j’aurai l’impression d’avoir accumulé assez.

mes personnages se développent assez naturellement, ils se teintent lentement de leur part ombrageuse. dans cette partie où tout le monde est à couteaux tirés, c’est plutôt agréable de les voir être très crus et distincts, chacun dans sa cruauté propre.

/////////////////////////////////// journal discontinu //// 23.3.2020 ////////////////////////////////////

je suis de nouveau à Bristol, on s’isole à cause de la pandémie.

13h49 1186 mots : écrit très lentement. je me suis attaquée à un passage très compliqué, où j’essaie de traduire un sentiment de bonheur du personnage principal mais un bonheur anonyme, comme s’il abolissait la personnalité et les détails individuels. Un bonheur comme une sorte de niveau zéro et d’indéfinition qui arrête l’expérience du temps. je suis assez loin du compte mais en insistant je trouverai. écrire sur le bonheur me paraît très ennuyeux mais je résiste à le rendre ambigu, j’ai besoin d’un moment, court, sans aucune ambiguïté. je m’y remettrai plus tard.

/////////////////////////////////// journal discontinu //// 14.3.2020 ////////////////////////////////////

20h12 1080 mots. Écrit un passage court sur l’idée de monstre. Quels sont les monstres de ce roman ?

Fini de lire hier La course au mouton sauvage de Murakami. J’ai beaucoup résisté pendant la lecture. Le narrateur parle des filles et des femmes uniquement en rapport à leur capacité de séduction. Je me suis souvent ennuyée, j’ai sauté des pages. Malgré ça un charme certain reste dans la tête quand on a fini. Les coutures du texte sont extrêmement fines, on est toujours surpris.e. Ce qui existe autour du narrateur n’est pas constamment instrumentalisé pour refléter son humeur et le texte en est conscient d’une manière presque métatextuelle – c’est une des sources de son humour. Dramaturgiquement, le roman est similaire à L’étranger de Camus, une histoire qui tourne autour d’un homme qui ne ressent presque rien.

/////////////////////////////////// journal discontinu //// 27.2.2020 ////////////////////////////////////

15h33 2900 mots depuis à peu près midi.

J’ai tout le dos bousillé à force de m’asseoir en S et de contracter tous les muscles parce que la scène que je viens d’écrire contient des personnages contractant tous les leurs. Une scène qui tourne autour de la masturbation et de la colère, comment deux potes se touchent dans une maison déserte et comment ça devient un apprentissage de la virilité fondée sur la compétition et la domination. Je crois que c’est pas mal. J’ai ri sous cape dans le bureau. C’est modestement vulgaire mais je ne crois pas gratuitement. « Faire bouger la langue par les extrêmes » Coluche

Lu cette semaine, Conversations with friends de Sally Rooney – bon premier roman et qui me donne des pistes pour la satire, et If Beale Street could talk de James Baldwin – magnifique du début à la fin, comment en plaçant bien le mécanisme de la tragédie politique on peut maintenir un vibrato en étant au plus proche de celleux qui tentent au jour le jour de déjouer la structure générale, sans montées et descentes artificielles du sentiment quand on lit (sans jouer avec de faux soulagements et de faux espoirs), en faisant juste sentir l’intelligence et la créativité brute que les circonstances exigent des personnages.

/////////////////////////////////// journal discontinu //// 17.2.2020 ////////////////////////////////////

15h16 1196 mots aujourd’hui. La régularité manque. La moitié des épisodes que je raconte font remonter un sentiment de nausée qui est parfois un bon départ, parfois simplement un facteur de découragement. Je continue de lire The Ministry of Utmost Happiness et chaque page est une description de tortures et d’évènements pendant la guerre du Kashmir. Ça pèse.

Dans ce que j’écrivais aujourd’hui je commence à voir comment je peux parler de l’exotisation de l’autre qui rampait dans la culture des jeunes du groupe. J’avais oublié qu’un truc comme Koh-Lanta existait, my oh my.

Lu des extraits de White Noise ce matin, c’est drôle d’une manière insupportable.

/////////////////////////////////// journal discontinu //// 11.2.2020 ////////////////////////////////////

10h 815 + 145 ce matin. Chaque personnage découvre un peu plus sa folie. Un des personnages je l’ai compris a le fantasme de mourir dans un accident de voiture. Il va donc constamment penser à ça comme son échappatoire. J’aimerais qu’à la lecture on aie le sentiment de se balader de l’un à l’autre mais en gardant entre chaque un fil très fin, très clair. J’essaie de varier les rythmes, souvent les portraits se terminent en sorte de catastrophe suspendue. Je commence à voir comment l’histoire de ce moment-là s’infiltre dans leur histoire à elleux. À travers le job des parents, à travers ce qu’ils entendent et où ils vont. J’espère que les envolées à la Violette Leduc passent. but of course, I get all the kick, does the reader get the same?

/////////////////////////////////// journal discontinu //// 7.2.2020 ////////////////////////////////////

8h37 J’ai fui Berlin pour Bristol. J’ai fini The God of Small Things d’Arundhati Roy il y a deux jours, je suis presque à la moitié du Ministry of Utmost Happiness. J’adore l’ampleur de ces romans et comment l’histoire est mêlée à la foule d’histoires dont les personnages sont le centre. C’est encore en suspend pour moi, comment l’histoire peut-être rencontre ce qu’il se passe dans Étés.

10h48 612 mots et un peu de réflexion sur la structure.

/////////////////////////////////// journal discontinu //// 3.10.2019 ////////////////////////////////////

15h – 1391 mots – c’est la fête de la deutsche einheit aujourd’hui, je bosse dans l’atelier où je viens juste de commencer à louer un bureau.

depuis que je suis revenue à Berlin, j’écris le matin, un paragraphe, deux phrases, presque rien mais ça me permet de garder le contact.

ce qui me préoccupe le plus en ce moment, c’est de trouver l’équilibre entre les deux voix de la narratrice. bien tracer la ligne entre les deux, répartir les rôles, éviter la répétition.

ce que j’espère, c’est faire de la voix omnisciente une voix qui parle du milieu dans lequel sont les personnages, qui montre comment ils sont pris dans un filet qui les mène forcément à se désintégrer. l’autre voix, celle de la narratrice dans le temps présent, c’est celle qui est sans recul, qui ne voit pas ce qui se passe, qui agit donc qui va s’écrouler. mais parce qu’elle n’est pas dans la lecture de ce qui se passe, elle peut aussi créer. plus j’écris plus je trouve ce qui les différencie dans leur ton, leur grammaire, leur vocabulaire.

/////////////////////////////////// journal discontinu //// introduction //// 3.10.2019 ////////////////////////////////////

après une résidence en août 2019 (voir plus bas “11.08.2019”), de retour à Berlin, puis hébergée à Bristol, je reprends l’écriture de mon roman, Étés.

c’est une histoire qui sourd dans mon cerveau depuis longtemps, c’est un roman d’apprentissage en banlieue parisienne, fait de tendresse et de violences diverses, c’est l’histoire d’un groupe d’ami.e.s. qui se désintègre au tournant des années 2010. c’est l’occasion pour moi de retourner dans ma ville d’adoption, S. et de voir comment on y poussait quand on avait vingt ans et des privilèges mais pas d’horizon.

j’écris le matin et de jeudi à dimanche, d’où ce journal discontinu pour continuer de garder une trace de mes progrès et de mes questions. je poste de temps en temps des extraits.

bienvenu.e.s. ici, dans le chaudron, là où un désir de magie fait bouillir des ingrédients innommables. merci d’être là.

pour les commentaires, bienvenus, https://www.facebook.com/events/2534726133464022/ ou m.yan@posteo.net

http://www.marieyan.com

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11.08.2019

hey, tu sais peut-être que j’écris des pièces et des nouvelles (j’ai un site en friche où il y a une liste pas tout à fait à jour https://horsescrossing.wordpress.com/cv/), well écoute ça, je me lance dans un roman.

c’est une histoire qui sourd dans mon cerveau depuis longtemps, c’est un roman d’apprentissage en banlieue parisienne, fait de tendresse et de violences diverses, c’est l’histoire d’un groupe d’ami.e.s. qui se désintègre au tournant des années 2010. c’est l’occasion pour moi de retourner dans ma ville d’adoption, S. et de voir comment on y poussait quand on avait vingt ans et des privilèges mais pas d’horizon. le roman n’a pas encore de titre.

j’ai commencé à l’écrire à Pâques, je me suis enfermée dans une chambre d’auberge de jeunesse à côté de chez moi – j’habite à Berlin depuis 2016 – et j’ai écrit vingt pages de matériau. je m’y remets demain (le 12.08.2019) et jusqu’à fin août, avec l’ambition d’avoir écrit une centaine de pages avant coupes. je le jure.

je vais essayer de tenir un court journal de mes progrès sur cette page (les mises à jour apparaîtront sous ce texte) et je publierai des extraits quand je le sens. pour prendre un peu de distance, pour avoir une trace, pour inviter qui veut bien y entrer dans le chaos de l’écriture, pour avoir un peu de soutien.

donc, bienvenu.e.s. ici, dans le chaudron, là où un désir de magie fait bouillir des ingrédients innommables. merci d’être là.

pour les commentaires, bienvenus, https://www.facebook.com/events/2534726133464022/ ou m.yan@posteo.net

servus!

Marie

— avec le soutien hospitalier de l’Ivryade, la coloc de la rue Pasteur, qui m’héberge pendant cette résidence improvisée dans les bibliothèques parisiennes. merci à vous infiniment : Maguelone, Romain, Valentin, Antoine, Guillaume. —

/////////////////////////////////////////// fin //// 1er septembre ///////////////////////////////////////////

15h43 – salut à tou.te.s !

la résidence s’est terminée un peu comme une longue glissade imprévue.

d’abord, il y a eu dimanche dernier un échange vraiment super et d’une grande aide avec Tiphaine Vigniel et Lea Piontrzakontev on s’est vues sur Skype pour lire un extrait un peu bricolé du début du roman.

ça m’a bien encouragée ! on me dit que l’atmosphère de banlieue y est, qu’on ne se sent pas perdu.e, que la langue est fluide.

ensuite lundi, à la suite de ce skype, comme souvent ça m’arrive après avoir l’impression d’avoir atteint un palier ou terminé quelque chose, mon cerveau s’est éteint tout à fait et j’ai été très déprimée et fatiguée toute la journée du lundi où il faisait par ailleurs une chaleur de four à Paris. j’ai juste recopié mes notes sur le logiciel et j’ai laissé tomber. j’ai écrit peut-être une page de plus, une scène de départ en vacances, à l’envers de ce qu’il se passait, vu que j’étais en train de rentrer…

et de mardi à maintenant, je n’ai pas tenu le cap, il y avait trop de gens importants à voir à Paris, j’ai laissé l’ordinateur de côté, en pensant refaire des coupes, avoir une première partie vraiment léchée avant de la poster ici mais ça n’a pas marché !

donc j’oublie l’ambition de recouper, je vous mets les pages qu’on a lues ensemble et qui sont donc un bout de ce que j’aurai écrit en août (j’ai écrit je crois 19 000 mots environ, à peu près 27 pages). c’est un premier jet. l’extrait se trouve ici : Étés, extrait du premier jet.

rien qu’en un mois, beaucoup de choses ont changé dans le projet, à travers les discussions que j’ai eues et puis simplement les personnages, les lieux, les intrigues qui commencent à trouver leur vie propre. je m’habitue aussi à reparler de la banlieue, de l’adolescence… tout devient un peu plus beau, un peu meilleur.

je voudrais avoir fini ce roman avant l’été prochain si je peux. on verra !

entretemps le site thecauldron.pen.io est réapparu, il avait disparu sans raison la semaine dernière. je ne sais pas si je le fais migrer vers un blog pour éviter ça… je continuerai de le mettre à jour sporadiquement.

merci du coeur ! à vous tou.te.s ! d’avoir suivi ce plongeon, ça a été un gros plaisir et un vrai soutien de pouvoir partager et d’avoir vos retours et de vos nouvelles.

si ça vous a plu, je pense que si je refais une semaine d’écriture intensive dans les mois qui viennent, je recréerai un événement, je ne sais pas encore. what do you think?

enfin, bonne rentrée à tou.te.s, si vous lisez l’extrait n’hésitez pas à m’écrire ce que vous en pensez.

ciao, goodbye, au plaisir, à bientôt, je vous embrasse x

///////////////////////////////////// jour 14 //// dimanche 25.8.2019 /////////////////////////////////////

16h06 – 764 mots. je suis crevée ! pause. la lecture d’hier a été un bon moment. beaucoup de boulot pour rendre la première partie plus serrée mais c’est un bon début. si je rentre à Berlin avec la première partie presque bouclée, je suis contente. je suis loin des cents pages que je voulais mais c’était arbitraire.

je me pose une sorte de défi formel, la première partie avec une langue plutôt classique et de longs morceaux de deux voix seulement (la narratrice à deux âges différents), la deuxième partie avec l’apparition des voix de ses ami.e.s et la troisième partie en fragments, comme j’avais prévu au départ. du contrôle de l’histoire à la perte de contrôle en gros.

j’ai repris quelques bouquins de la dernière pioche. on sait jamais, si vous cherchez une lecture pour finir le mois…

Aki Shimazaki – Hotaru – son écriture me fait penser à un animal blessé. pas un mot ou un geste de trop, les phrases sont courtes, en cercles concentriques à partir de la narratrice mais toujours quelque chose qui saigne, qui est évoqué au détour d’une phrase. c’est très beau.

c’est une grand-mère qui raconte à sa petite fille son plus grand secret, comment un homme plus âgé qu’elle, en la séduisant a décidé de sa vie. ça se passe au Japon dans l’entre-deux guerre et juste avant la bombe.

Dai Sijie – Trois vies chinoises

j’ouvre une page au hasard.

« Soudain, l’homme s’est réveillé et s’est assis sur la table d’opération, mais il semblait bien fatigué. Il a regardé le chirurgien, pour tenter de l’identifier, mais comme il était myope, il a cherché, à tâtons autour de lui, ses lunettes, sans lesquelles il ne voyait rien. Il n’a trouvé que ses intestins, qu’il a tenté de se remettre dans le ventre, puis il est tombé en avant, il a eructé, comme pour refouler un vomi, il a relevé la tête, a regardé de nouveau le docteur Ma, et lui a craché du sang en pleine figure. Le crachat a atterri sur le nez du médecin, un gros crachat, épais, rouge carmin, qui a coulé en bas de sa figure. Il a poussé un cri d’horreur, un cri déchirant, qui a marqué le début de sa démence. À compter de ce jour, il a passé son temps à essuyer comme un forcené ce crachat sanglant qu’il croyait toujours sur son nez. »

Ying Chen – L’ingratitude. Longue prosopopée à la première personne, une jeune fille qui s’est suicidée. j’ai le sentiment que ça se répète – il y a peu d’éléments, elle en veut à sa mère, elle veut la faire souffrir, elle se tue et on sait ça dès la première page. quand même, bon rythme.

Phan Huy Duong – Un amour métèque. ça me réjouit pas trop, ce que je lis en diagonale sur les femmes. mais le ton est acide et colérique, ça bouge. “Sur la commode, l’aquqrium diffusait une lumière glauque. Les guppys nageaient, gracieuses et lentes traînées de couleurs assourdies. Il regardait leur glissement silencieux et ressentit comme de l’angoisse. Il faut enlever cet aquarium. La semaine dernière un guppy est mort. Les enfants l’ont vu flotter ventre en l’air, et ils ont sangloté. Les enfants n’ont pas le sens de la mesure. Ils ne savent pas aimer raisonnablement. Il ne faut pas les habituer à aimer les animaux. Ils risquent un jour d’aimer aussi les hommes et de devenir meurtriers.”

à lundi, plus que cinq jours. x

///////////////////////////////////// jour 13 //// samedi 24.8.2019 /////////////////////////////////////

10h14 – aujourd’hui relecture et découpage, bonne journée à tou.te.s !

Imprimé_1erepartie

///////////////////////////////////// jour 12 //// vendredi 23.8.2019 /////////////////////////////////////

12h31 – BNF salle G – littérature étrangère.

je fais un Tinder des bouquins avant de m’y remettre. devant l’étagère ASI84 – littérature asiatique francophone. je prends dix livres au hasard, pour lire deux-trois pages de chaque. on fera ça aussi à mon roman le jour où il sera publié, je n’ai pas de scrupules.

F. Cheng Quand reviennent les âmes errantes – j’avais déjà lu des poèmes, je n’étais pass fan. forme intéressante « Drame à trois voix avec choeur » et caractère sentencieux assumé première ligne « En ce bas monde, en ce très bas monde, tout est vicissitude, tout est transformation. », le côté vieille langue tragique infatigable a du charme, chaque personnage se présente avec « Je suis Chun-niang. » « Je suis Gao Jian-Li. » mais il y a trop d’expressions toutes faites. « je pleurai amèrement » « compagnons de jeu » « ivre de vengeance »

Gao Xingjian, La fuite (pièce) : pas mal ! pas très long, je l’ai lu d’une traite. publié en 92, un huis-clos entre trois personnages qui ont réchappé à Tienanmen (pas cité). Un peu Claudel, un peu Tchekhov… « Dis-moi suis-je encore en vie ? » « Te souviens-tu ? » mais en parlant du massacre. le personnage féminin est touchant mais sans nuance, l’archétype « jolie fille sauvage ».

Anna Moï, Le venin du papillon. j’aimerais le lire pour la toile de fond – un pays asiatique sans nom en phase de décolonisation. la narratrice a aussi presque le même âge que la mienne. Ouverture : « L’année où Xuân a vu ses nichons enfler, le moine s’est foutu le feu. »

« Les rues locales, aussi, ont été rebaptisées. La rue Catinat – à l’origine du verbe catinater, c’est-à-dire se balader rue Catinat (une activité majeure durant l’époque coloniale) – est devenue la fameuse rue de la Liberté de l’hôtel Caravelle. Un autre concept universel, la Justice, orne la pancarte d’un boulevard. La Démocratie n’est attribuée à aucune rue, mais le fait est qu’elle n’a pas non plus son chemin jusqu’au Parlement. Des universitaires, d’anciens rois, et des généraux antichinois ont remplacé les héros français sur les voies. » super scène de sexe entre la narratrice et un type plus âgé. je vais aller l’acheter.

Titaua Peu, Pina. j’aime bien les chapitres qui ont un titre – je trouve ça puéril et rassurant quand je le fais moi-même. Pina parle (les enfants qui parlent dans les romans comme Vardaman Bundren dans As I Lay Dying sont un motif que j’aime beaucoup mais c’est difficile donc rarement bien) – elle a neuf ans : « Le Quartier Latin… peut-être qu’un jour j’irai pour de vrai. Et dans la librairie de Papeete et dans le quartier latin. Pauro, qui sait de plus en plus de choses, dit que dans ce coin de Paris, il y a plein de librairies comme ça, des artistes qui ont une clope à la main, les yeux rivés au sol ou en l’air, ils ont un stylo dans les yeux. Ça doit être beau. » I feel offended by this relatable content. je note la maison d’édition « Au vent des îles – éditions Tahiti ».

3000 mots avant de partir.

14h55 – 954

15h57 – 619 – nouveau personnage, nouveau golem.

18h12 – 784

presque ! 2307. peut-être en rentrant, encore un peu. sinon, à demain x

///////////////////////////////////// jour 11 //// jeudi 22.8.2019 /////////////////////////////////////

10h14 – 701 mots, j’ai écrit une page sur Amandine (tous les noms peuvent encore changer), la némésis de la narratrice en quelque sorte. je commence à l’aimer, comme Mauve, l’autre insupportable amie de la narratrice, c’est bon signe vu qu’on va traîner ensemble un moment.

une chanson passe dans le bar où j’écris, elle dit « Kissed the girls and made them cry »

11h17 – 756 mots.

la seule règle que j’essaie de respecter aujourd’hui : regarder dans le vide pendant dix minutes entre chaque page sans penser à rien. comme si je devais me surprendre moi-même au moment de me lancer.

///////////////////////////////////// jour 10 //// mercredi 21.8.2019 /////////////////////////////////////

16h18 – pas dormi ou presque hier soir, j’ai lu des bouts d’Alain Damasio dont on m’a beaucoup parlé (Les Furtifs) pour me rendormir, un bout de Proust, un bout de Mo Yan et cet après-midi, Despentes. peut-être en mélangeant j’espère exorciser le pastiche.

j’ai passé la journée à structurer le roman, quand j’écris des pièces c’est pareil, d’abord j’ai une idée, un sentiment précis de l’écriture qui se traduit par une sorte de couleur générale, de rythme, j’avance sans filet et avec confiance, ensuite je vois que ça ne tiendra pas sur la durée, je commence à avancer plus doucement, puis vient le moment où je structure tout frénétiquement de A à Z, jusqu’à ce que, après m’être remise à écrire, parce que la structure n’est qu’un squelette, elle ne disparaisse dans l’écriture et qu’il faille la revoir à nouveau.

j’imagine trois parties pour le livre, chacune qui correspond à un été, pour chaque partie j’ai fait une liste d’impressions, essayé de traduire cette couleur générale qui correspond en vrac à : l’état de la narratrice et d’autres personnages principaux (leurs intérêts, leurs relations entre eux et envers leur famille, leurs désirs particuliers, leur rapport à l’intimité et au sexe), à l’impression que je veux donner de la ville, aux évènements de l’actualité qui correspondent à l’été de cette année-là (même si je ne sais pas encore quoi en faire).

j’ai fait une deuxième liste arbitrairement découpée entre juillet et août, des scènes que j’ai en tête ou que je devine.

j’ai fait une mindmap de chaque partie pour mieux la visualiser.

j’ai terminé avec une vue d’ensemble de ce que chaque personnage traverse au cours des trois étés de manière schématique (ex : « désir de départ » puis « absence » puis « peur du retour au point de départ » puis « disparition »).

18h24 – j’ai fait un peu de copier-collage, de colmatage et j’ai écrit peut-être 500 mots.

à demain.

/////////////////////////////////////// jour 9 //// mardi 20.8.2019 ///////////////////////////////////////

16h18 – pas dormi ou presque hier soir, j’ai lu des bouts d’Alain Damasio dont on m’a beaucoup parlé (Les Furtifs) pour me rendormir, un bout de Proust, un bout de Mo Yan et cet après-midi, Despentes. peut-être en mélangeant j’espère exorciser le pastiche.

j’ai passé la journée à structurer le roman, quand j’écris des pièces c’est pareil, d’abord j’ai une idée, un sentiment précis de l’écriture qui se traduit par une sorte de couleur générale, de rythme, j’avance sans filet et avec confiance, ensuite je vois que ça ne tiendra pas sur la durée, je commence à avancer plus doucement, puis vient le moment où je structure tout frénétiquement de A à Z, jusqu’à ce que, après m’être remise à écrire, parce que la structure n’est qu’un squelette, elle ne disparaisse dans l’écriture et qu’il faille la revoir à nouveau.

j’imagine trois parties pour le livre, chacune qui correspond à un été, pour chaque partie j’ai fait une liste d’impressions, essayé de traduire cette couleur générale qui correspond en vrac à : l’état de la narratrice et d’autres personnages principaux (leurs intérêts, leurs relations entre eux et envers leur famille, leurs désirs particuliers, leur rapport à l’intimité et au sexe), à l’impression que je veux donner de la ville, aux évènements de l’actualité qui correspondent à l’été de cette année-là (même si je ne sais pas encore quoi en faire).

j’ai fait une deuxième liste arbitrairement découpée entre juillet et août, des scènes que j’ai en tête ou que je devine.

j’ai fait une mindmap de chaque partie pour mieux la visualiser.

j’ai terminé avec une vue d’ensemble de ce que chaque personnage traverse au cours des trois étés de manière schématique (ex : « désir de départ » puis « absence » puis « peur du retour au point de départ » puis « disparition »).

18h24 – j’ai fait un peu de copier-collage, de colmatage et j’ai écrit peut-être 500 mots.

à demain.

/////////////////////////////////////// jour 8 //// lundi 19.8.2019 ///////////////////////////////////////

1h18 – c’est très idiot d’écrire à cette heure-ci. 423 mots.

13h12 – 958 mots. j’ai atterri à la caféothèque sur les quais – très tranquille pour bosser, très bien, chère comme à peu près les prix de la cherté parisienne. 3,50€ le café, 4,20€ le thé. j’ai dormi chez mes parents (7,30€ l’aller-retour Paris-Sartrouville, au fait, heureusement on me fait le deuxième virement d’une pièce fin août).

je me suis vraiment amusée à écrire ce matin, ça fait du bien. un de mes personnages prend de l’épaisseur. j’ai aussi trouvé un des fils de la violence que j’essaie de dérouler.

un des coeurs de mon histoire est que les filles du groupe d’ami.e.s que je décris s’adorent mais sans le savoir se tirent dessus. le milieu dans lequel elles grandissent, sans qu’il soit ouvertement terrible, les comprime, les encourage à se contrôler les unes les autres, à jouer le jeu des sexes. je pense à Colette et son héroïne Claudine qui terrorise les filles de sa classe.

autre sujet, il m’est venu à l’esprit hier que la période que je décris (j’ai dit les années 2010 en fait non, mes excuses, c’est la toute fin des annés 2000, 2007-2009), au millieu il y a la crise de 2008 et je crois que c’est pas possible de ne pas en parler d’une certaine manière. je cogite. parce qu’en vrai, dans ce groupe d’ami.e.s que je décris, sur combien d’entre elleux cela a eu des conséquences quand ça en a eu partout ailleurs ?

15h04 – j’ai regardé ce qui me ferait plaisir de poster comme extrait et bon, je vais poster l’extrait sur Mauve, le personnage dont je parlais plus haut. hiiiiiii – expression de terreur et de plaisir quasi-masturbatoire, vu que j’ai aimé écrire cet extrait mais aussi que ça veut généralement dire que c’est trop chatoyant et qu’il va falloir y réfléchir à tête reposée

19_8_2019

21h10 – 820 mots. je fais n’importe quoi avec mon rythme, j’ai marché longtemps cet après-midi. citation de Mo Yan que je lisais cet après-midi : “En littérature ce n’est pas briser un bien grand tabou que de décrire un corps. Toute la question est de savoir si l’auteur, au moment où il rédige ce tableau, voit ou non la chair dénudée flotter devant ses yeux.”

/////////////////////////////////////// jour 7 //// dimanche 18.8.2019 //////////////////////////////////////

11hxx – 300 mots.

/////////////////////////////////////// jour 6 //// samedi 17.8.2019 ////////////////////////////////////////

10h54 – vers 2h30 hier j’ai écrit un paragraphe avant de me coucher, presque sans voir l’écran (j’avais enlevé mes lentilles), ça a un certain charme : “Pm était entre nous, dans le sous-sol de Lupo. Sur la table au milieu de la pièce, A. fait tourner les bords d’une cannette sur la table comme s’il s’agissait d’un explosif. Lupo rearde sa collection de CD pour la troisième fois en parlant bas pour souligner sa r´´flexion. Mauve compte le nomdre de bracelets de perles de rocaille à son bras. Je suis assise et je regarde le plafond. Il ne s’agit pas d’un moment de calme non, il ne s’agit pas d’une entente sans paroles. Amandine va revenir. Tout est suspendu.. Personne n’avait prévu un échec mais tout le monde `à tout moment est préparé à souffrir un lac long comme une plage. Les soupirs devienennt exagérés, le moindre geste de la tête est un et un evenement que personne ne commente. On a rien à fairee, on reste ensemble. De la maison des parents à celle de amis, combien de différnce ? Presque aucune.”

avoir ou ne pas avoir de pause le samedi et dimanche ?

/////////////////////////////////////// jour 5 //// vendredi 16.8.2019 ////////////////////////////////////////

7h30 – matin chagrin, je me suis couchée tard hier mais de nouveau on se retrouve avec Nora Haakh pour commencer à écrire ensemble.

9h28 – j’ai écrit une page qui n’a rien à voir avec là où je me suis arrêtée hier mais qui pourrait être un motif plus tard (le rapport à Internet à la fin de l’adolescence).

12h46 – je suis arrivée à la BNF et j’ai feuilleté plusieurs bouquins de sociologie sur la banlieue. “Regards croisés sur la banlieue” (avec un liste de romans à dénicher et d’auteur*rices classé*es de manière réductrice dans la “littérature de banlieue”: Leïla Sebbar, Mehdi Charef, Akli Tadjer, Azouz Begag, Daniel, Calixthe Beyala, Rachid Djaïdani…), “Dictionnaire des banlieues” (pas du tout au fait des études postcoloniales et des critical race studies, assez délirant de voir qu’un ouvrage universitaire – 3/4 des auteur*rices profs à Paris VIII – emploie, même avec des guillemets, le terme “Français de souche” pour parler de discriminations raciales. ouvrage publié en 2009 cependant.), et puis “La France des “petits-moyens” enquête sur la banlieue pavillonaire”. c’est presque douloureux de lire une enquête sociologique de la réalité qu’on a connue.

la documentation est toujours à un certain point un écueil pour l’écriture mais une sorte de béquille aussi. je m’y remets.

16h01 – 1874 mots pour aujourd’hui. je réécris peut-être en rentrant, vingt minutes. à chaque moment je me dis : “est-ce que c’est ennuyeux ? est-ce que je m’ennuie ?”

ce qui m’intéresse c’est d’utiliser une langue très classique mais de trouver un moyen de la bâtardiser. je ne sais pas exactement si c’est à travers le contenu de l’histoire ou avec des expressions qui contrastent…

je voudrais poster un extrait la semaine prochaine.

////////////////////////////////////////// jour 4 //// jeudi 15.8.2019 //////////////////////////////////////////

7h30 – check-in avec Nora Haakh, on a échangé nos souhaits pour la journée

8h19 – je me sens bloquée, je ne sais pas ce qui vient après la dernière page que j’ai écrite.

11h30 – matinée difficile, je n’ai presque rien écrit, quelques phrases. j’ai lu des extraits de Barthes, La Préparation du roman (merci Nicolas Aude), une lettre de Hemingway à Fitzgerald sur Tender is the Night, des BDs à portée de main (La Légèreté de Catherine Meurisse, Elle s’appelait Tomoji de Jiro Taniguchi), j’ai résumé encore une fois les fils principaux de l’histoire, les lieux qui m’intéressent (un groupe d’amis qui se désintègre, la banlieue parisienne et la classe moyenne comme environnement, comment le groupe détruit la personne). je suis divisée entre continuer à écrire comme j’avais commencé avec les fragments – par association – et me mettre à faire un plan très serré de toute l’histoire.

12h37 – j’ai eu le sentiment agréable de trouver un début de pelote dans un amas de fils. j’ai découvert un trait important de la narratrice (enfin, je suis pas encore sûre que ce sera la seule)- sa peur du regard. j’ai aussi trouvé une référence pour la structure du roman (je ne savais pas vraiment comment réintroduire l’idé d’avoir des fragments qui viennent se glisser dans la narration principale) : ce sont les appartés que fait parfois l’auteur*rice de manga dans les marges ou à la fin des chapitres (avec une anecdote sur le processus de travail ou sur un des personnages) et qui peut être complètement en décalage avec la tension de la narration au moment où il arrive. je vais essayer de trouver le nom il doit y en avoir un.

aussi, le cours de Barthes est sur ubu : La Préparation du roman – Cours au Collège de France 1978-1980

vocabulaire de travail : Proust parlait d’”ajoutages” à son éditeur quand il rallongeait son texte et de “préparer” un personnage pour dire qu’il savait comment un personnage réapparaîtrait dans un épisode suivant.

16h24 – 1315 mots et feuilleté Un coeur simple pour voir les passages où Flaubert saute avec une ironie coupante sur l’hypocrisie de ses personnages (avec juste un article déterminant “La mère Liébard, en apercevant sa maîtresse, prodigua les démonstrations de joie.”). J’aime aussi beaucoup ses transitions voyantes et ses chutes, qui sont là où il est drôle et cruel. (fin du chapitre 1) “Son visage était maigre et sa voix aiguë. À vingt-cinq ans, on lui en donnait quarante. Dès la cinquantaine, elle ne marqua plus aucun âge ; — et, toujours silencieuse, la taille droite et les gestes mesurés, semblait une femme en bois, fonctionnant d’une manière automatique.” Chapitre 2 : “Elle avait eu, comme une autre, son histoire d’amour.”

ou “Presque toujours on se reposait dans un pré, ayant Deauville à gauche, le Havre à droite et en face la pleine mer. Elle était brillante de soleil, lisse comme un miroir, tellement douce qu’on entendait à peine son murmure ; des moineaux cachés pépiaient et la voûte immense du ciel recouvrait tout cela. Mme Aubain, assise, travaillait à son ouvrage de couture ; Virginie près d’elle tressait des joncs ; Félicité sarclait des fleurs de lavande ; Paul, qui s’ennuyait, voulait partir.”

je vais essayer de faire un sprint de trente minutes vers 18h, d’ici là je fais une pause et je sors, j’ai la tête dans le brouillard.

18h31 – donc, vingt minutes sans s’arrêter.

19h06 – 585 mots. on verra combien à couper ! je commence à entrevoir le rythme que je peux avoir les jours suivants. à demain.

//////////////////////////////////////// jour 3 //// mercredi 14.8.2019 //////////////////////////////////////

7h44 – yes.

09h28 – j’ai écrit une longue page, c’est allé vite mais je ne suis pas tout à fait sûre de ce que je fais, là. la langue est très instable. de nouveaux personnages apparaissent que je n’avais pas prévus.

je me bats avec l’idée que je ne peux pas prévoir entièrement la forme du roman, qu’une part émerge avec le matériau lui-même.

ce qui m’effraie le plus est d’avoir un tas de texte informe qui me dépasse et mon temps est limité, à partir de septembre je retourne bosser et je n’aurai que très peu le calme que j’ai maintenant pour écrire. ne pas y penser.

11h07 – je me suis laissée distraire, je sors. je travaille sur une page qui se passe dans l’hypermarché de la ville où se déroule le roman, la narratrice et une amie s’y donnent rendez-vous. je repense à l’hypermarché qui est le modèle de celui-ci. c’est un de ces endroits qui me semblent hors littérature. pourtant j’ai trois extraits en tête sur les supermarchés, Au bonheur des Dames (Émile Zola), une de nouvelles de Heureux les heureux (Yasmina Reza) et Agamemnon : A mon retour du supermarché, j’ai flanqué une raclée à mon fils (Rodrigo Garcia). au fond, il y a une appréhension de ce que je ressens encore comme très contemporain. j’essaie de le regarder avec les yeux d’il y a dix ans et de ne pas juger. c’est aussi un endroit que je voudrais voir disparaître, je ne voudrais pas en parler ou le rendre meilleur qu’il n’est mais je ne peux pas l’éviter non plus parce qu’il fait partie de la géographie du roman. c’est une position de témoin en quelque sorte. donc, il faut le faire.

17h16 – 2412 mots. comment retrouver le sentiment exact de l’Hypermarché a été le thème de l’après-midi. je vais aller ouvrir un bouquin dessus.

18h35 – j’ai ouvert “Carrefour ou l’invention de l’hypermarché” dans la salle D de la BNF (338.409 44 LHER c). putain je suis remontée. cette impression de lire l’ennemi atroce quand j’ouvre le moindre bouquin d’un rayon “management”. je viens d’y apprendre comment les entrepreneurs français ont transposé les idées du colombien Trujillo – testées aux Etats-Unis: “Faites des usines à vendre, avec des océans de parking” “Monkey see, monkey do” “Les succès repose sur trois pieds : le libre-service, les prix bas, le spectacle. Qu’un seul vienne à manquer, tout s’écroule.” “Empilez haut mais vendez bas.” “Le plus grand barrage entre le client et la marchandise, c’est le vendeur.” “Pensez aux porte-monnaie de vos clients et parlez à leurs rêves.” “ No parking, no business” “Tout sous le même toit” “L’avenir est au tout-automobile” “Faites du cirque dans vos magasins”

AH !

je me calme.

à demain.

////////////////////////////////////////// jour 2 //// mardi 13.8.2019 //////////////////////////////////////////

10h49 – levée trop tard, maintenant dans un café encore vide dans la rue du Chevaleret. j’ai annoté les premières pages de La Sorcière, excellentes deux premières pages où il y a déjà tout le malheur de la narratrice.

“Quand mes filles eurent atteint l’âge de douze ans, je les initiai aux mystérieux pouvoirs. …

(indication d’une rupture dans la vie de la narratrice / utilisation d’une langue châtiée qui crée l’attente d’un monde ancien / premier élément d’une relation familiale / “mystérieux pouvoirs” : curiosité, attente d’un monde magique, compliquée deux paragraphes plus loin par “Nous nous installions à l’abri des regards de leur père, au sous-sol. Dans cette grande pièce froide et basse , aux murs de parpaings” : première référence à un monde contemporain.)

… Non pas tant, mystérieux, parce que je les leur avais dissimulés (avec elles, je ne me cachais de rien puisque nous étions de même sexe), mais plutôt que, ayant grandi dans la connaissance vague et indifférente de cette réalité, elles ne comprenaient pas plus la nécessité de s’en soucier ni d’avoir, tout d’un coup, à la maîtriser d’une quelconque façon, qu’elles ne voyaient l’intérêt pur elles d’apprendre à confectionner les plats que je leurs servais et qui relevaient d’un domaine tout aussi lointain et palpitant.”

(la narratrice a une connaissance extrêmement précise de ses filles mais n’a pas leur respect. elle les sert et n’en obtient pas de reconnaissance. c’est un personnage dédaigné malgré ses dons extraordinaires et qui a accepté cette position. sa seule puissance est l’observation, elle n’a de contrôle que sur le monde qu’elle décrit – métaphore de l’écrivain. tout le roman est campé.)

la narratrice principale de *** (roman sans titre) a bien une voix mais elle est encore trop changeante, j’hésite à réécrire plusieurs passages entièrement à la troisième personne. je n’ai pas de première page, je vais essayer de la trouver aujourd’hui. à plus tard.

11h17 – j’ai 32% de batterie je vais écrire jusqu’à ce que l’ordi s’éteigne ou qu’on me vire pour le service du midi.

12h02 – le titre du roman et la première page se sont présentés à moi pendant que je navigais dans les différents fragments. le roman s’appelle “Étés”. comme la saison et comme si on avait fait un nom du fait d’avoir été quelque chose. ça me plaît. j’ai écrit 555 mots, très joli chiffre.

13h09 – après une pause-déjeuner sur le parvis de la BNF, je reprends – salle G, littérature étrangère, la photo de Toni Morrison trône à l’entrée.

14h44 – 1732 mots, j’ai surtout fait du collage. la langueur de l’après-midi est sur moi.

16h12 – je vais finir la page que j’écrivais et y aller. demain je veux me lever vraiment tôt. Scrivener “quitted unexpectedly” pour la première fois mais rien n’est perdu.

16h56 – 1993 mots aujourd’hui : que se passait-il en 1993 ? (fin de la Tchéquoslovaquie, Foule sentimentale de Souchon, bombe sur le World Trade Center ?, le traité de Maastricht établit légalement l’Union Européenne).

je me demande si je suis aussi satisfaite de l’écriture continue que de l’écriture en fragments. ça demande un souffle complètement différent. à demain, donc, tôt.

////////////////////////////////////////// jour 1 //// lundi 12.8.2019 ///////////////////////////////////////////

9h30 – le bibliothèque de l’Hôtel de Ville ouvre, les fonctionnaires sont de bonne humeur. la salle de lecture est entièrement boisée avec un globe sous verre qui trône au milieu. début du travail.

10h20 – fini de faire la transition entre openoffice et scrivener pour la vingtaine de pages que j’ai : on peut tout diviser en chapitres et scènes faciles à déplacer, à la fin le logiciel fait la mise en page et compile.

je ne suis pas certaine que ça fonctionne bien pour le format que j’ai choisi pour le roman – des fragments.

j’ai rempli sans grande conviction des fiches “character” proposées par Scrivener.

toutes les heures, je fais une pause.

11h20 – j’ai fait le point sur la période que couvre le récit, pas encore tout à fait clair comment je vais tout tisser, j’imagine une structure en spirale, plus on approche du centre plus les personnages et l’environnement donnent des signes clairs de la catastrophe – ces signes ne se suivent pas chronologiquement – pour l’instant j’y vais à l’instinct.

12h39 – 760 words – plutôt lent. avoir commencé avec la structure m’a un peu cassé les pattes.

13h26 – j’ai revu la structure, j’imagine trois parties, chaque partie correspond en gros à un été, dans chaque partie des sauts en arrière et des extraits de carnets de la narratrice. il me faut un nouveau début et je vais reclasser tous les fragments que j’ai déjà selon les trois étés. merci à Giulio Rasi qui m’a offert Scrivener.

15h03 – j’ai écrit encore 900 mots à peu près. il y a de l’orage. mon voisin lit “essai d’une histoire raisonnée de la philosophie païenne” d’A. Kojève. je suis distraite. j’arrête dans deux heures.

16h33 – j’en ai marre.

16h53 – j’arrête, je vais relire un peu La Sorcière de Marie NDiaye, la narratrice est à la fois complètement impuissante et d’une acuité incroyable, ça me fascine. à demain.

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